L’évangile qu’on va lire dimanche devrait prendre une nouvelle résonnance à cause de ce que nous vivons. En effet, voilà les apôtres volontairement “confinés“ par peur ! Sauf un, Thomas, qui devait avoir une attestation de déplacement dérogatoire, et qui est donc absent !
Quand il revient, tous se précipitent pour lui dire qu’il a manqué une rencontre essentielle : « Nous avons vu le Seigneur ! » Mais cela n’entraîne pas l’adhésion de Thomas : pour croire, il veut voir, et pas seulement voir, mais toucher et de près. Ce n’est quelqu’un à se contenter de paroles, il veut vérifier par lui-même. 8 jours plus tard, il fait partie du confinement, et Jésus répond à son attente ; il l’invite à toucher, à vérifier qu’il est bien vivant, lui, le crucifié. Et l’incrédulité première de Thomas nous vaut cette parole qui nous rejoint les uns et les autres : « Heureux ceux qui croient, sans voir vu. » N’est-ce pas notre cas ?
Thomas, avec son désir de vérifier, nous ouvre aussi un chemin : nous voilà invités, comme lui, non pas à en rester à une rencontre furtive de Jésus, mais à prendre du temps pour le toucher, pour reprendre à notre compte sa propre expérience, celle de ses blessures, pour découvrir la vie nouvelle qu’elle fait jaillir. Avec Thomas, on n’en est pas à la répétition un peu mécanique d’une formule : “il est ressuscité !...“ ; il y a toute une recherche à faire, toute une découverte à approfondir pour vérifier ce que cela change dans notre vie.
Et pour cela, il faut du temps et du temps donné régulièrement, sinon le lien risque d’être ténu, imperceptible… Il me faut de la patience, apprendre à me tenir là en écoute, plein d’attention à la parole que Dieu veut me partager ; s’approcher peu à peu, chaque jour un peu plus près pour que je devienne familier de cette parole, familier de Dieu, pour qu’il me touche.
Des rites sont indispensables, c’est-à-dire des rencontres régulières et prévues, pour que se tissent des liens forts et vivants. Ce sont des instants de communion, où il s’agit simplement d’être là, unis dans la même tendresse, pour être bien ensemble, tout simplement comme ceux qui s’aiment. C’est d’être là, pleinement présent à l’instant qu’on vit. Souvent nous sommes agités dans notre tête et dans notre cœur, parce que nous sommes encore ou déjà ailleurs, à ressasser le passé ou à redouter l’avenir.
Nous nous faisons beaucoup de mal, en étant toujours ailleurs que là où nous sommes, car nous ne vivons qu’à moitié, et vivre à moitié, c’est mal vivre. Au contraire, quel bonheur à prendre le temps d’une rencontre vraie et profonde avec le Seigneur, source de notre vie et à puiser en lui notre force et notre espérance. Ce n’est pas la durée de l’entretien qui est importante, mais la présence totale à ce que nous vivons à ce moment-là.
Et ceci est valable pour toute rencontre, pour les multiples contacts de nos journées : être pleinement à l’écoute de celui que je croise. On sent très bien quand on est écouté ; on sait aussi quand notre parole résonne dans le vide. Dans nos villes, et spécialement en ce temps de confinement, combien crèvent de solitude, parce que personne ne les accueille vraiment, profondément, pour eux, simplement pour eux. Les sans-liens, les sans-relations, les sans-avenir nous crient qu’il est urgent aujourd’hui de créer des liens, de s’apprivoiser les uns les autres, si nous voulons que la vie ait du goût.
Pour cela, il faut prendre le temps de s’approcher, de se côtoyer et donc de vaincre la peur de l’autre, trop loin, trop différent ; se laisser toucher peu à peu et lui donner sa place. Là encore il est nécessaire d’inventer des rites, d’aller au-delà de contacts ponctuels, de s’inscrire dans des démarches durables et régulières, pour que des liens profonds se tissent entre nous. On ne peut en rester aux coups de cœur, émotions d’un instant, sans lendemain. Cela s’appelle “s’entretenir”, c’est-à-dire tenir ensemble, tenir les uns par les autres, les uns appuyés sur les autres, comme les poutres d’une charpente.
Alors si d’un côté je cherche à toucher le Seigneur, en fréquentant sa parole, chaque jour d’un peu plus près, si je tisse avec Lui des liens réels, durables, réguliers, et si de l’autre côté, nous nous apprivoisons entre nous, si nous prenons ensemble le temps de l’écoute, le temps de l’accueil, alors nous vivrons intensément de ce que l’Apôtre Paul décrit : « Nous sommes un seul corps et si un membre souffre, tous les membres partagent sa souffrance ; si un membre est à l’honneur, tous partagent sa joie. Et vous êtes le corps du Christ et chacun pour sa part, membre de ce corps. » 1 Co 12,26-27
Vivre ainsi, c’est goûter intensément les fruits d’une vie ensemble, d’une vie accueillie, reçue et partagée ; c’est sentir et en éprouver toute la fécondité. C’est une source de joie intarissable, et cette joie, nul ne pourrait te l’enlever, puisque ce sont eux, tes frères, qui te la donnent.
Alain Patin
alain.patin chez libertysurf.fr